Posture de l’accompagnant

par | 5 Juin 2018 | Praticiens

Posture de l’accompagnant : quel praticien voulons-nous être ?

 

Accompagner un client est une grande responsabilité pour le praticien. Nous nous formons, développons nos compétences, sommes supervisés pour proposer le meilleur accompagnement possible à nos clients. Mais est-ce suffisant… ? Il me semble qu’au-delà de ces questions techniques, deux questions nécessitent d’être adressée : la posture du praticien et la relation client-praticien.

Prendre conscience de notre approche et de ses aprioris, est une réflexion fondamentale, pourtant pas si évidente, pour tout praticien qui souhaite ne pas être « prisonnier » d’une approche qu’il a apprise.

Cet article est un résumé du cours d’Hypnologie de Cyrille Champagne de l’Arche : Hypnose et constructivisme, que je vous recommande très fortement de suivre : vous aurez une vision plus précise et profonde du sujet. Le cours Hypnologie (cours de niveau universitaire) est en libre accès sur Youtube, et c’est une véritable mine d’or pour les praticiens en hypnose !

Cet article répond en écho – pour le praticien – à la réflexion que je proposais aux clients sur la manière dont ils souhaitent être accompagné afin de mieux choisir leur praticien : 5 clés pour choisir un « bon » hypnothérapeute.

Aux origines de l’étude de la relation client-praticien (Palo Alto V1) :

L’école de Palo Alto – courant de recherche en psychothérapie qui s’est introduit dès les années 50 dans le courant psychothérapeutique – a été la première à étudier de près la relation patient-praticien, à commencer par Gregory Bateson qui développe des approches systémiques et interactionnistes en mettant l’accent plus sur l’interaction et la relation que sur le patient. Ce groupe de Palo Alto comptera bientôt d’autres grands noms comme J. Weakland, J. Haley, W. Fry, D. Jackson, et un certain Milton Erickson en tant que consultant externe… Ils vont alors modéliser divers aspects de la communication, dont notamment les 2 niveaux de communication : Contenus (ce qu’on dit, le sens des mots) et Structures (la façon dont c’est organisé, transmis, ton de voix, etc…).

En 1963, J. Haley (fortement aidé par Erickson) écrit « Strategies of psychotherapies », qui propose de se focaliser plus sur les cadres, contextes et comportements, au lieu de l’origine des problèmes. Comment se structure la problématique, comment ça marche, comment elle se maintient… ?

L’approche constructiviste (Palo Alto V2) :

A partir de 1968, P. Watzlawick reprend la Direction du MRI (Mental Research Institute créé par Don Jackson avec V. Satir, J. Haley, puis R. Fisch) : ce sera le début de la 2ème version de l’école de Palo Alto, qui va fortement s’orienter vers le constructivisme.

Pour travailler sur les contextes, interactions, communication, et leur impact sur l’individu, l’équipe du MRI d’origine propose des méthodes :

  • Entretien basé sur l’ici et maintenant
  • Diagnostiquer les caractéristiques du système relationnel :
    • Recenser les tentatives de changements qui n’ont pas fonctionné
    • Comprendre les mécanismes qui créent et renforcent le problème
    • Questionner les mécanismes : « comment ? »,
  • Utiliser le langage du client et générer des nouveaux changements
  • Agir sur les relations pathogènes

P. Watzlawick va ainsi s’intéresser plus précisément à la manière dont l’individu structure son expérience subjective (et moins les interactions et contextes). Ils repassent d’une approche interpersonnelle à une approche intrapsychique, et vont élaborer des méthodes psychothérapeutiques basées sur le constructivisme.

En épistémologie (théorie de la connaissance), le constructivisme décrit la réalité vécue comme une co-construction, qui provient des interactions entre l’interne (moi) et l’externe (le monde). Von Foester introduit la notion de croyances : les problèmes viennent des croyances qui engendrent le monde perçu (interprété).

P. Watzlawick intègre les bases d’un constructivisme radical (abandonner toute notion de réalité objective : nous créons le monde tel que nous le percevons) pour repenser la psychothérapie et développer la psychothérapie constructiviste. Basée sur :

  • La question de la construction subjective de la réalité
  • L’impact de celle-ci sur les problématiques de l’individu et sa capacité à changer
  • Le recadrage comme outil de prédilection

L’approche constructiviste est utilisée par la plupart des pratiques hypnotiques d’accompagnement, et questionnent les problématiques dans la construction subjective de la réalité par le client (anamnèse, détermination d’objectif, métamodèle, recadrages, structuralisme, …).

Lien vers les vidéos du cours Hypnologie :

Hypnose et constructivisme 1/2 : De Palo alto au constructivisme Hypnose et constructivisme 2/2 : Structures de la subjectivité et accompagnement

Quelques définitions : 

(partiellement issues du cours d’Hypnose Stratégique de l’Arche)

Projection : Mécanisme par lequel une personne perçoit chez une autre personne des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…) qui lui appartiennent, mais qu’elle attribue à l’autre personne. En d’autres mots je projette quand j’attribue à l’autre quelque chose qui en fait m’appartient.

Introjection : Mécanisme par lequel une personne incorpore des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…) qu’on lui a projeté (consciemment ou pas). En d’autres mots, j’ai introjecté quelque chose quand cet élément m’appartient, alors qu’en fait on me l’a inculqué.

Transfert : Mécanisme de projection spécifique à la situation du client envers le praticien. Le client attribue au praticien des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…)  qui sont propres au monde interne du client.

Contre-Transfert : Ensemble des ressentis somatiques et émotionnels que le praticien éprouve envers le client pendant l’accompagnement. Ressentis qui proviennent principalement du terrain psychologique propre au praticien, et du transfert du client qui projette ses éléments sur le praticien.

Les recherches de Palo-Alto ont fortement influencé de nombreux courants d’accompagnement comme : l’Hypnose Ericksonienne, la PNL, la Gestalt Therapie, Thérapie Stratégique, Analyse Transactionnelle, Thérapies Familiales, Internal Family System, …

Prendre du recul sur notre approche :

 « Les thérapeutes d’une école thérapeutique donnée retrouvent pratiquement toujours, avec leurs patients, ce que leur théorie de référence leur a appris à s’attendre à retrouver. » (T. Melchior)

Prendre du recul sur notre approche est une question d’honnêteté intellectuelle, et peut-être même de déontologie. D’autant plus que certaines écoles transmettent leurs cours sans forcément amener leurs stagiaires à développer un regard critique sur ce qui leur est transmis, ce qui augmente le risque d’apprendre de manière dogmatique. Alors sur quelles bases est fondée notre approche ?

Est-elle réaliste ou constructiviste ?

  • Elle est réaliste si nous croyons en la réalité notre approche. Par exemple les ego-states/sous-personnalités existent réellement et de manière permanente et absolue.
  • Elle est constructiviste si nous pensons que notre approche est avant tout une métaphore, un outil, que nous utilisons pour permettre de transformer quelque chose. Par exemple les ego-states sont des co-constructions relatives et temporaires pour l’accompagnement.

Autre exemple avec les grilles de lectures :

  • Dans l’approche réaliste les composants de la grille de lecture ce sont des faits
  • Dans l’approche constructiviste : ce sont des moyens d’accompagnement : elles sont juste des moyens de changer.

On voit bien qu’il y a des croyances qui sous-tendent l’utilisation de nos approches.

Dans une perspective réaliste, il existe par exemple, un risque d’introjection (intégration par le client de quelque chose qui appartient à quelqu’un d’autre – dans notre cas au praticien) des grilles de lectures. Risque que les écoles issues du constructivisme tentent de contrer par la non-projection : sans grille de lecture, en utilisant uniquement les constructions initiales du client, on diminue le risque d’introjecter une grille de lecture dans le système du client.

L’approche constructiviste rejette les grilles de lecture (ce qui en soi peut paradoxalement aussi être compris comme une forme de grille de lecture…). Et il existe aussi un risque au constructivisme radical non conscientisé. Certains praticiens pourraient rejeter d’autres approches en pointant les limites de leur réalisme. Par exemple des praticiens en hypnose ou PNL qui se « radicalisent », sans se rendre compte de ce qu’est le constructivisme : ils deviennent des constructivistes radicaux et plaquent partout leur modèle. On le constate régulièrement dans certains commentaires sur les réseaux sociaux…

Place du « Je » et du « Nous » dans l’approche du praticien ?

Cyrille Champagne nous propose une rétrospective des systèmes de valeurs (cf. la Spirale Dynamique de C. W. Graves), le « Je » / « Nous » dans les différents types d’accompagnements. On y retrouve le mouvement habituel d’alternance du « Je », puis du « Nous », et ainsi de suite… Cependant, depuis les années 2000, on voit apparaitre des approches qui tentent d’intégrer les deux ensemble : du « Je » ET du « Nous », comme la PGRO ou la CNV, ainsi que la réflexion menée actuellement à l’Arche sur des Hypnoses intégratives…

(IFS : Internal Family System) – (PGRO : Psychothérapie Gestaltiste des Relations d’Objets) – (CNV : Communication Non Violente)

Et la subjectivité dans tout ça ? :

En accompagnement, il peut être très utile de comprendre quelles sont les structures de la subjectivité de notre client, et les nôtres ! Comment se sont construit nos représentations de soi, et nos représentations du monde ?

Cyrille Champagne propose de distinguer 3 types d’outils pour analyser ces structures :

  • les grilles de lecture (interprétation subjective de l’expérience que l’on fait : grille d’analyse pour l’interpréter),
  • les types psychologiques (la façon dont on va « colorer » l’expérience – comment l’expérience est filtrée par un filtre qui est le sien – pas interprétation plutôt sélection de type d’infos et de mise en action),
  • et les stades de développement (évolution dans le temps de l’expérience subjective)

Ces outils permettent une adaptation précise à la problématique du client, qui favorise des accompagnements brefs et efficaces. Mais soyons vigilants à bien les distinguer. Il y a des risques de confusion par exemple entre stades de développement et grilles de lecture. Prendre en compte les notions de stade de développement permet de limiter le risque de décalage entre le niveau de développement du praticien et celui de son client. Le client a tendance à mettre le praticien en posture d’autorité, là il risque de « trop » croire le praticien, c’est d’ailleurs pourquoi on se place en posture basse.

Porter en soi des grilles de lectures sans s’en apercevoir, c’est aussi prendre le risque de les projeter ! On projette inconsciemment sur notre client les objets que l’on ne connaît pas de nous-même…

Et Cyrille Champagne de conclure en revisitant le célèbre principe socratique :

« Connais-toi toi-même, et tu … projetteras beaucoup moins ! » 😉

Comment porter un regard sur sa pratique ? :

Quel regard portons-nous sur notre pratique, sur notre client, sur la relation ? Parfois ces regards sont confus et confondus. Il peut être utile, notamment lors de la Détermination d’Objectif (ou anamnèse) de distinguer 3 types de regards:

  • La phénoménologie (l’expérience subjective elle-même),
  • L’herméneutique (la façon dont on interprète cette expérience subjective)
  • Le structuralisme (et la façon dont se structure cette expérience)

On peut ainsi distinguer l’expérience de l’interprétation, et le comportement et de l’interprétation causale.

S’intéresser à comment le client interprète sa propre expérience (croyances et grilles de lecture, types de personnalité, stades de développement, …) nous fait apparaître les structures fondamentales de sa subjectivité.

Ces 3 regards bouclent ensemble, et se complètent. Le type psychologique du client va fortement conditionner son expérience, et cette expérience étant conditionnée, il va l’interpréter d’une certaine manière qui va renforcer la structure et qui va renforcer l’expérience…
Et si nous testions cette approche sur des cas « compliqués », pour mieux comprendre ce qu’il se passe ? Bien évidemment, cette approche ne remplace en aucun cas l’accueil, la présence et tout ce qui se passe d’autre dans une séance… 

Adapter l’accompagnement à l’accompagné :

Vient ici la question du partage de la responsabilité entre le patient et le praticien… Si l’on ne veut pas « faire » pour le client, quelle est alors notre rôle et notre part de responsabilité ?

Et si l’un des rôles du praticien est de recadrer (recadrage constructivisme) les structures de la subjectivité du client, quelles structures recadrer, sur quels critères ? Et la demande consciente du client, qu’est-ce qu’on en fait ?

Quelles grilles de lectures intégrer ou recadrer, et sur quels critères ? Ou au contraire utiliser les grilles de lectures du client pour favoriser le changement ? De nombreuses questions auxquelles chaque praticien répondra de manière personnelle, en fonction de ses propres affinités, mais aussi de ce qu’il perçoit de ce dont le client a besoin en adaptant l’accompagnement à l’accompagné. Cette adaptation sera facilitée par la prise de conscience de sa posture, de son propre fonctionnement en tant que praticien, mais aussi en prenant en compte le fonctionnement de son client, de sa problématique.

Il est également important d’être conscient du processus de « maturation » de l’acquisition des grilles de lectures (et de la plupart des outils d’ailleurs) par le praticien :

  • Phase 0 : Ignorance de la grille de lecture et rejet par défaut.
  • Phase 1 : acquisition et expérimentation : elle devient saillante et on la voit partout ! Tendance dogmatique du praticien à propos de cette grille.
  • Phase 2 : expérimentation et recul : la grille apparaît comme partiellement invalide (découverte de cas où ça ne marche pas) : tendance au rejet de la grille.
  • Phase 3 : maturation et intégration : la grille apparaît comme valide de manière contextuelle (client, thématique). Tendance à la souplesse et à la polyvalence.
Les grilles, types et stades du clients forment une unité structurelle : la thématique / problématique contextuelle du client est relative à cette unité structurelle.
Il s’agit donc d’accompagner :
  • Un individu dans toute sa complexité
  • Une thématique particulière ou toute l’identité de l’individu
  • Le processus d’évolution lui-même

Qu’est est-il du transfert et contre-transfert ?

Dans un accompagnement, surtout quand il y a plusieurs séances, s’installe une relation particulière entre le client et le praticien. Les notions de transfert et contre-transfert ont été popularisées par les approches psychanalytiques (cf. définitions). Le client va avoir tendance à projeter sur le praticien des éléments psychiques qui lui appartiennent (notamment des éléments de figure d’autorité, de sécurité ou insécurité, etc…). Ce transfert touche naturellement le praticien, c’est ce que l’on appelle le contre-transfert. Prendre conscience, et prendre en compte ce contre-transfert permet au praticien de mieux soustraire (ou limiter) de la relation les éléments psychiques qui lui appartiennent. En tant qu’être humain, il est normal qu’il soit touché (émotionnellement pas physiquement bien sûr) par son client, par ce qu’il est, par ce qu’il partage avec lui, par sa manière de dire les choses, par ce qu’il dégage, etc… Mais en tant que professionnel de l’accompagnement, le praticien se présente en tant que praticien face à son client. Ce « costume » de praticien peut être impacté, mais il est important que la femme ou l’homme derrière le praticien se protège. Pour reprendre la phrase célèbre d’un de mes formateurs : « être touché, mais pas impacté ». Etre touché car si le praticien n’est pas touché, cela va avoir un impact dans la relation avec son client, cela va créer une distance qui peut nuire à l’accompagnement. Mais pas impacté car le praticien doit se protéger, ne pas ramener chez lui les problématiques de ses clients.

C’est pourquoi un travail personnel important, pour apprendre à se connaître, à connaitre ses propres failles, les sujets qui peuvent être réactifs chez nous, et tout simplement pour apprendre à poser ses limites, est absolument indispensable. Je ne parle pas là de supervision technique, mais vraiment d’un travail sur soi de développement personnel, et d’accompagnement dans la durée, car tout cela bouge bien évidemment…

Il est également important de noter que la prise en compte du contre-transfert dans la séance nous amène à prendre un petit moment en tri sur soi, afin de réaliser ce qu’il se passe en nous. Ce moment permet de ralentir le rythme de ping-pong mental qui peut parfois s’installer en début de séance. Et la prise en compte de l’impact émotionnel de la relation avec notre client crée également quelque chose qui améliore la qualité de la relation. Certains appellent cela : la présence

Conclusion :

L’approche constructiviste est une étape importante des approches psychothérapeutiques, et des approches de l’accompagnement individuel. Elle demande de la souplesse pour ne pas être utilisée de manière dogmatique. Elle permet au praticien de réduire les projections, et de de s’adapter au client.

Actuellement, l’hypnose d’accompagnement est liée à des approches constructivistes radicales, et tend à s’orienter vers des approches constructivistes syncrétiques, en intégrant d’autres approches.

Comprendre ces approches, leur postulat constructiviste, tout en intégrant les approches réalistes et biographiques, permet d’élargir et de rendre plus neutre la perception du praticien sur son approche, le fonctionnement de son client, et ce qu’il se joue dans la relation praticien/client. C’est également utile pour enrichir les supervisions/intervisions, et les partages avec d’autres praticiens.

Réaliser quel praticien nous sommes, définir quel praticien nous voulons devenir, avoir d’autres outils pour mieux comprendre ce qu’il se passe pour le client, et ce qu’il se joue dans la relation : tout cela afin d’affiner et de mieux adapter notre accompagnement.

Bernard JOUVEL 

Lien vers les vidéos du cours Hypnologie :

Hypnose et constructivisme 1/2 : De Palo alto au constructivisme

Hypnose et constructivisme 2/2 : Structures de la subjectivité et accompagnement

Définitions (partiellement issues du cours d’Hypnose Stratégique de l’Arche)

Projection Mécanisme par lequel une personne perçoit chez une autre personne des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…) qui lui appartiennent, mais qu’elle attribue à l’autre personne. En d’autres mots je projette quand j’attribue à l’autre quelque chose qui en fait m’appartient.

Introjection : Mécanisme par lequel une personne incorpore des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…) qu’on lui a projeté (consciemment ou pas). En d’autres mots, j’ai introjecté quelque chose quand cet élément m’appartient, alors qu’en fait on me l’a inculqué.

Transfert : Mécanisme de projection spécifique à la situation du client envers le praticien. Le client attribue au praticien des éléments psychiques (croyances, émotions, intentions, etc…)  qui sont propres au monde interne du client.

Contre-Transfert : Ensemble des ressentis somatiques et émotionnels que le praticien éprouve envers le client pendant l’accompagnement. Ressentis qui proviennent principalement du terrain psychologique propre au praticien, et du transfert du client qui projette ses éléments sur le praticien.